Vous avez dit droit de retrait ?

Quelques médecins libéraux se posent la question d’un éventuel droit de retrait.
Il convient en premier lieu de rappeler que la notion de droit de retrait, prévue par le Code du Travail et le Code de la Santé Publique concerne spécifiquement les salariés et les agents publics, et non les médecins libéraux (n’étant pas soumis aux dispositions du Code du travail). S’agissant des médecins libéraux, on ne peut qu’envisager les modalités éventuellement légales d’un droit de refus de soin.

1. Médecin libéral, ai-je un droit de refus de prise en charge ?

Si « (…) Un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles », cela n’est prévu par l’article R.4127-47 du Code de la Santé Publique qu’ « Hors les cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité (…) ».

De même, l’article R.4127-48 du Code de la Santé Publique rappelle que « le médecin ne peut abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi ».

Si les risques d’atteinte à sa sécurité peuvent en principe permettre au professionnel de refuser un soin ou de s’en désister, ce droit connaît les limites suivantes dans la situation que nous connaissons :

Limite de « l’urgence et des devoirs d’humanité » (article R4127-47 précité) : un patient suspect de COVID 19, et d’autant plus s’il est testé positif, est manifestement en situation nécessitant une prise en charge urgente.
A défaut d’être en mesure de fournir une alternative au patient (prise en charge par un autre médecin, ou une autre structure hospitalière publique ou privée), le refus de prise en charge ne peut être justifié.

La limite du « danger public » (Article R.4127-48 précité) : L’épidémie actuelle du COVID 19 constitue évidemment un danger public imposant au médecin libéral de se tenir à son poste.
La limite générale de l’interdiction de discrimination, en raison notamment de l’état de santé du patient.
Cela ne signifie évidemment pas que doivent être ignorés les risques évidents et avérés de contamination personnelle et de mise en danger du médecin libéral.

Les établissements de santé et plus particulièrement les unités de réanimation existantes ou créées doivent naturellement disposer des moyens matériels nécessaires, y compris de protection pour leur fonctionnement.

La protection du personnel médical doit être regardée comme une obligation à la charge des autorités publiques et des établissements de santé, afin d’éviter la propagation du virus à des personnes en situation de fragilité ou en risques.

2. Et si je ne suis pas formé pour la réanimation ?

Un médecin anesthésiste n’est pas seulement anesthésiste, sa spécialité est « anesthésie réanimation ».

S’il est vrai que dans leur pratique quotidienne régulière, un grand nombre d’anesthésistes ne prend plus en charge les patients ventilés au long cours (transfert systématique en réanimation souvent dans d’autres structures) et donc se sent « incompétent » pour la prise en charge de ces derniers, pour autant ils savent tous intuber, régler des respirateurs et surveiller les patients intubés.

Dans cette période de crise ils sont donc les mieux à même de prendre en charge les patients, même si c’est de façon moins performante que les réanimateurs chevronnés.

De nombreux tutos, conseils et possibilités de poser des questions pratiques sont disponibles. En temps de crise, chacun fait pour le mieux même si tout le monde a conscience qu’il travaille en « mode dégradé ».

L’urgence vitale commande de faire pour le mieux, avec les moyens du bord, pour limiter au maximum le nombre de morts. Ceux qui font de la médecine de catastrophe ou humanitaire en milieu précaire savent que la question n’est pas de savoir ce qui est idéal, mais ce qui est possible, avec les moyens dont on dispose.

Oui, nous pouvons assimiler la situation actuelle à une situation de médecine de guerre…

Au-delà des questionnements médicaux légaux (oubliant que les obligations déontologiques font partie des dispositions réglementaires), c’est évidemment l’éthique qui prévaut : préfère-t-on une hypothétique plainte pour une mauvaise prise en charge d’un patient décédé à une plainte pour refus de soin à un patient en urgence vitale ?

Nous ne doutons pas que la réponse s’impose à tous !

Laure SOULIER et Philip COHEN, Avocats à la cour

Cabinet AUBER – PARIS