« Il faudra maintenant envisager la malveillance » : face à l’affaire Péchier, la profession se pose des questions
L’anesthésiste Frédéric Péchier a été condamné jeudi 18 décembre à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans, après avoir été reconnu coupable de l’ensemble des 30 empoisonnements de patients, dont 12 mortels, dont il était accusé. Le SNARF s’était constitué partie civile. Étienne Fourquet, président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs de France, anticipe sur l’après-Péchier, dans une interview parue dans l’Est républicain le 13 décembre. Un procès qui bouleverse, évidemment, toute une profession.
Didier Fohr – 13 déc. 2025 à 07:30 | mis à jour le 14 déc. 2025 à 17:53 – Temps de lecture : 3 min
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Etienne Fourquet, président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs de France : « Après le procès, ce sera aux médecins de s’emparer de la question essentielle de la confiance ». Photo Willy Graff
Le procès de Frédéric Péchier est sur le point de s’achever. À quelques heures du verdict, quel impact craignez-vous pour la profession ?
D’abord, le syndicat que je représente, le SNARF, a décidé de se constituer partie civile. La profession nous y a beaucoup encouragés. Ensuite, quand nous avons eu connaissance du dossier, nous avons réuni le conseil d’administration pour déterminer notre position. À l’unanimité, nous avons décidé de nous placer du côté de l’accusation. Cette affaire est dramatique pour les victimes, les patients, mais aussi pour les infirmiers, les médecins, les chirurgiens. Ce qui s’est passé n’est pas concevable.
On est précisément dans l’impensé médical, l’impensable ?
Ce mot a été répété tout au long de l’audience. Ce n’est pas envisageable d’utiliser cette position dominante vis-à-vis d’un patient endormi. Les patients nous confient leur vie et nous font parfaitement confiance. Tout médecin anesthésiste a pu être confronté à une forme d’angoisse. On entend souvent : vous me réveillez hein, docteur ? Ne pas avoir conscience de cet aspect est parfaitement inconcevable dans notre profession. Et injecter d’autres produits que ceux de notre science, ce n’est pas notre profession. Je pense que les gens sont capables de relativiser. On parle d’assassinats dans ce procès, pas de conduites d’anesthésies.
Comment va réagir la profession ? Y a-t-il des pistes de réflexion ?
Ce qui va changer : dans le logiciel à tiroirs que nous avons pour un diagnostic d’incident, il faudra maintenant envisager la malveillance. Elle n’est pas enseignée une minute dans notre parcours de formation. Il faudra l’ajouter. Et quand on se posera la question des raisons d’un arrêt cardiaque, il faudra avoir en tête l’hypothèse d’un acte criminel. Il faudra rajouter une ligne. C’était inconcevable. On passe de l’inconcevable au conceptuel, et à la réalité.
Ce qui vous marque dans ce procès auquel vous assistez depuis le début ?
L’extrême dignité de l’ensemble des parties. En tant que soignants, ça remue. Il y a les patients, ceux qui ont survécu, ceux qui ne sont plus là. Beaucoup d’émotions. Nous médecins, dans le feu de l’action, nous sommes peut-être plus dans les gestes techniques, même si on ne peut s’empêcher de revivre la naissance de nos enfants à chaque accouchement… Là, c’est étonnant d’être confronté à la parole des patients et des familles.
Les établissements réagiront également avec des protocoles de sécurité renforcés ?
C’est d’abord aux médecins de s’emparer de cette question. Il ne faut plus travailler chacun dans son couloir de nage. Chaque événement indésirable grave (EIG) doit être discuté, en associant les paramédicaux. Il faut recréer du lien, redonner du sens au travail collectif comme les commissions médicales d’établissement. Peut-être que si tous les cas qui se sont produits à Saint-Vincent avaient été analysés comme ça…
Si vous aviez un message ?
L’anesthésie-réanimation est probablement la plus belle des spécialités, la plus complète. Mais rien ne peut se faire sans confiance. Sur les 12 millions d’anesthésies par an, il y a moins de 100 décès rapportés à l’anesthésie. Et puis il y a le facteur humain… Ici, c’est la fin du serment d’Hippocrate. Si le médecin manque à ses promesses, il sera déshonoré et méprisé.